Plaisir coupable : Lucifer, une gourmandise sexy as hell

Plaisir coupable : Lucifer, une gourmandise sexy as hell

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Par Delphine Rivet

Publié le

Une série qui a heureusement su dépasser le format bien rigide du copshow.

Sur le papier, lorsqu’elle a été lancée sur la Fox en 2016 (puis sauvée par Netflix, après son annulation en fin de saison 3), Lucifer semblait être une énième déclinaison de série policière : structurée autour de la relation entre flic et consultant, avec une bonne grosse dose de “will they, won’t they” (un artifice scénaristique qui consiste à créer une tension sexuelle entre deux personnages, sans jamais ou rarement, donner aux spectateur·rice·s la satisfaction de les voir ensemble). Créée par Tom Kapinos, elle est très librement inspirée du personnage imaginé par Neil Gaiman, Sam Kieth et Mike Dringenberg dans la série de comics The Sandman.

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Elle arrivait suite à des années passées à nous farcir les plus ou moins tiédasses The Mentalist, Bones et consorts. Le héros, sexy en diable, n’est autre que Lucifer Morningstar (incarné par Tom Ellis), échappé des Enfers pour se la couler douce sur Terre. Sa partenaire : Chloe Decker (Lauren German), inspectrice aussi adorable que dure à cuire et maman solo, accepte, pour une raison totalement tirée par les cheveux, que le bellâtre s’incruste sur toutes ses enquêtes. Comme dans toutes les séries du genre, il n’a aucune bonne raison d’être là, il dépassera régulièrement les limites, sans jamais être trop inquiété par ses supérieurs.

Évidemment, la tension sexuelle entre les deux nous tiendra en haleine jusqu’à… c’est toujours le cas aujourd’hui, en fait. Que voulez-vous, la chair est faible et c’est le plus vieil artifice scénaristique de la télévision (pratiqué avant elle par la littérature feuilletonnante) pour fidéliser son public. Mais au-delà de son côté ultra-formaté, si Lucifer plaît autant, c’est qu’elle a d’autres qualités, non ? Pourquoi on y revient ? Qu’est-ce qu’elle a de plus que les autres ? Qu’est-ce qui en fait un plaisir pas si coupable ?

Sexy en diable

Pour commencer, elle affiche d’entrée de jeu un humour bien plus coquin que ses consœurs précédemment citées. Lucifer est présenté comme un être aux appétits sexuels variés, dont il n’est jamais rassasié. Il est fréquent de le surprendre dans son penthouse au-dessus de son club très sélect, le LUX, déambuler nonchalamment entre des corps d’hommes et de femmes endormi·e·s après une orgie. Mais attention, nous sommes sur la Fox, une chaîne de network grand public un brin conservatrice en ce qui concerne le sexe, bien qu’elle se soit sensiblement décoincée ces dernières années. Aussi, les bacchanales sont priées de se tenir hors caméra.

Même si ça n’est jamais clairement dit dans la série, Lucifer laisse deviner sa bisexualité. Bah oui, pour quelle raison absurde cet être divin qui ne vit que pour le péché et le plaisir se priverait de coucher avec une moitié de l’humanité ? Mais ça, toujours parce qu’on est sur la Fox, la série se garde bien de le claironner. Allez savoir pourquoi (si en fait, on sait) certains croient toujours que les téléspectatrices de 18 à 80 ans ne peuvent être émoustillées qu’en voyant un bad boy dont le cœur s’adoucit au contact d’une femme. Dur, dur de se débarrasser de clichés issus de décennies de romances hétéronormées à la télé, au cinéma et dans les livres.

C’est finalement par le truchement de Mazikeen, ou Maze pour les intimes (jouée par Lesley-Ann Brandt), que la série franchira plus sûrement la frontière de la bisexualité. Elle est sans conteste le meilleur personnage féminin de la série et la pâlotte Chloe ne saurait rivaliser avec la sensuelle, sauvage, badass, dominatrix et parfois totalement inappropriée Maze, démon et bras droit de Lucifer. Ses spécialités : la torture des âmes damnées (elle se rabat volontiers sur les mortels, depuis son exil sur Terre) et les armes blanches. Voilà une femme que l’on découvre frustrée, parce que le job qu’elle avait en Enfer lui manque et qui va peu à peu s’ouvrir à celles et ceux qu’elle considérait jusqu’ici comme des insectes.

C’est en particulier au contact de Trixie, la fille de Chloe, qu’elle va apprendre l’amitié et devenir une sorte de super tatie pour la gamine (une tatie qui tue des gens et a un penchant pour le SM, quand même). Puis, elle va tisser des liens indéfectibles avec Linda, la psy de Lucifer. Maze était sans doute initialement pensée comme un objet de désir pour attirer les téléspectateurs masculins, puisqu’elle est beaucoup plus sexualisée que les autres femmes de la série, mais le male gaze (une femme attirée par les femmes serait plus “acceptable” sur une grande chaîne que son pendant masculin) a vite laissé place à une vraie figure d’empowerment, avec ses failles et ses forces. Les scénaristes ont fait d’elle un vecteur de l’amitié féminine avec une agency (une capacité d’agir), plutôt qu’un simple objet de désir vêtu de cuir et ça, on aime.

Le mâle et le Malin

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Lucifer a aussi les dieux de la comédie de son côté. Notre héros est doté d’un sens comique qui oscille entre celui d’un enfant de 10 ans et celui d’un socialite british (car oui, le Diable a l’accent anglais, ce qui fait mathématiquement monter son potentiel sexy d’un cran). Son côté coquin transparaît aussi dans ses répliques, souvent inappropriées et cheeky à souhait. Une attitude qui a aussi pour but de pointer du doigt certaines conventions sociales à la limite du puritanisme. Lucifer se délecte du malaise qu’il crée et sa première victime est souvent ce pauvre Dan, un collègue de Chloe, qui est aussi son ex-mari, qu’il a rebaptisé “detective douche” (soit, en français “inspecteur trouduc”). On n’échappe pas au concours de celui “qui a la plus grosse” entre ces deux rivaux au fil des saisons, même si le match est évidemment déséquilibré : Lucifer est, littéralement, le mâle alpha.

Mais cette figure du mâle alpha justement, Lucifer la malmène un peu et ça aussi, on aime. S’il ne peut pas s’empêcher quelques (rares) réflexes virilistes, surtout en présence d’autres mecs, il fait aussi bouger, un peu (encore une fois, on est sur Fox donc mollo), l’image qu’on se fait de la masculinité hégémonique. Déjà parce qu’il est a priori bisexuel, même si les scénaristes s’obstinent à lui mettre des love interests féminins dans les pattes et qu’ils ne lui proposeront certainement jamais un amant.

On s’attendait à ce que Netflix change la donne à ce niveau, la plateforme n’ayant jamais reculé devant des histoires d’amour et de cul LGBTQ, mais pour l’instant, ce n’est toujours pas au programme. Ensuite, avec son attitude, son torse glabre, sa dégaine de dandy toujours apprêté et ses manières d’aristo, Lucifer est plus proche d’un adonis que d’un démon plein de testostérone. On est loin, très loin, de l’idée que l’on se fait du Diable, cette bête à cornes poilue qui boit le sang de ses victimes sacrificielles. Mr Morningstar préfère un doigt de Brandy et les peignoirs en soie, merci pour lui.

Cette réinvention du roi des Enfers n’échappe évidemment pas aux écueils de son format ultra-calibré, mais l’alchimie fonctionne. Lucifer, grâce à son héros impertinent et sexy et les personnages complexes qui l’entourent (Maze en première ligne), est une série qui a su se distinguer des autres copshows du genre. Suffisamment, en tout cas, pour nous tirer de l’ennui profond généralement suscité par ce genre engoncé dans ses normes. Elle est une parfaite distraction, légère et sans autre prétention que de nous faire passer un bon moment sans prise de tête, après une dure journée de travail. Un brin insolente, sans jamais dépasser les limites imposées par sa diffusion initiale sur un network grand public, c’est une série qui pousse au péché : une vraie gourmandise, sexy as hell.

Les quatre premières saisons de Lucifer sont disponibles sur Netflix, et la cinquième arrivera prochainement sur la plateforme.