En saison 3, la comédie noire Search Party malmène avec brio ses millennials

En saison 3, la comédie noire Search Party malmène avec brio ses millennials

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© HBO Max

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Par Delphine Rivet

Publié le

La série s'interroge sur les limites du white privilege et sur le narcissisme de ses protagonistes millennials au bord du gouffre.

On avait presque oublié à quel point la série créée par Sarah-Violet Bliss, Charles Rogers et Michael Showalter était un régal de satire générationnelle. C’est encore plus flagrant dans cette saison 3, qui vient récompenser la longue attente des fans (près de trois ans, tout de même) en renouant avec la comédie, qu’elle avait légèrement délaissée auparavant. Entre-temps, elle a d’ailleurs lâché son diffuseur TNT pour passer sur la rutilante plateforme HBO Max, lancée en mai dernier aux États-Unis. On revient sur ces 10 épisodes de haute volée, donc attention, spoilers droit devant !

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C’est comme si on avait quitté Dory, Drew, Elliott et Portia la veille. On les retrouve d’ailleurs au moment et à l’endroit exacts où on les avait laissés. Notre héroïne, sur son 31, est embarquée par la police pour le meurtre de Keith Powell. L’essentiel de la saison 3 se concentre donc sur le procès et sur l’impact que cela a sur le gang. Sans surprise : c’est la débandade. Search Party se révèle alors d’une pertinence rare quand il s’agit de regarder en face la génération des millennials. Sans moqueries gratuites, mais sans complaisance non plus.

Plus encore, la série s’attaque à une notion ô combien d’actualité : le white privilege et tous les petits tours de passe-passe qui viennent avec, comme les white tears, formule magique des personnes blanches pour se tirer d’affaire là où une personne racisée serait immédiatement suspectée, menottée et traitée comme de la racaille (voire pire). Dory (formidable Alia Shawkat) est une millennial, une hipster, qui évolue dans un milieu aisé et cultivé et qui, en dépit de ses origines irakiennes, est perçue comme une femme blanche. Ça, quand on est face à la police ou la justice, ça change tout. Elle est certainement très woke, mais pour la première fois de sa vie, elle va tester les limites de ses privilèges et va allègrement en jouer pour se sortir de la panade.

Car malgré l’abondance de preuves exagérément accablantes, Dory parvient à émouvoir le jury, qui choisit de l’acquitter. Comble de l’ironie, elle réussit ce tour de force toute seule, sans l’aide de son avocate – qui, OK, n’est peut-être pas parfaite, mais maîtrise au moins les codes de l’appareil judiciaire – qu’elle a congédiée au moment le plus crucial. Preuve, s’il en fallait, de la faillibilité du système et de la confiance que Dory a en sa propre légitimité. L’opinion publique et nous-mêmes sommes tellement conditionnés à avoir de la compassion pour les larmes d’une femme perçue comme blanche, qu’on en oublierait presque le meurtre dont elle est accusée (et auquel on a assisté !). Dory incarne à elle seule une génération, une classe sociale et dans une certaine mesure, le stéréotype de la “Karen” — un simple prénom qui est devenu le symbole des white tears sur les réseaux sociaux.

Aucun des personnages de la série n’est en fait bon ou mauvais, mais ce qui les rend délicieusement fascinants, c’est de les voir se débattre avec les conséquences de leur égocentrisme. C’est pour cette raison, au moins autant que le crime qui les unit, que leur amitié éclate. Elle n’a, d’ailleurs, jamais été bien solide, car il est difficile de maintenir un groupe soudé quand chacun et chacune ne pense qu’à soi. La tête bien enfoncée dans leur bulle et les deux pieds ancrés dans l’instant présent, la réalité leur fait l’effet d’un uppercut. C’est la série tout entière qui est en orbite autour de cette formule : on ignore finalement tout ou presque du passé des protagonistes, seul ce qu’ils sont maintenant compte et seule leur perspective, seul leur monde apparaît.

Celle qui vient déranger ce statu quo, c’est l’avocate de l’accusation, la très rigide procureure Polly Danzinger, dont l’interprétation par Michaela Watkins est un délice de chaque instant. Quintessence de l’amertume des boomers, quand elle s’attaque à Dory, c’est toute une génération qu’elle crucifie : “Si on autorise ces deux-là, moralement répugnants et qui abusent de leurs privilèges, à s’en tirer, eh bien, vous savez quoi ? C’est toute une génération que vous choisissez d’absoudre.” Si sa colère est vraiment mal placée, surtout dans un tribunal, elle n’est évidemment pas déraisonnable, mais elle affiche surtout une profonde ignorance de cette jeunesse qui la débecte tant et reste interdite devant la soudaine célébrité de Dory.

Cette dernière, devenue une véritable icône médiatique, fait d’abord mine de détester cette soudaine attention. En réalité, elle savoure secrètement ce moment. On a du mal à aimer cette Dory, mais ce n’est pas ça l’important. Non, l’important, c’est qu’elle atteint sous nos yeux le point culminant de sa transformation, de jeune hipster paumée, en quête de sens à sa vie ennuyeuse (mais privilégiée, on insiste !) à monstre de foire, manipulatrice et bien qu’elle semble désœuvrée, au top de son pouvoir.

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Elle fait tout de même remarquer que, dans la même position d’accusé·e, elle se fait copieusement insulter et menacer, tandis que Drew (John Reynolds) reçoit des messages d’amour de la part de fans transi·e·s. Si le trait est volontairement forcé, il y a bien sûr une grosse part de vérité dans la dénonciation de ce double standard. Celui-ci, même s’il parle à chaque fibre féministe de notre être, ne doit pas nous détourner du vrai discours qui se cache derrière une revendication somme toute assez légitime : Dory, incapable de percevoir sa position de privilégiée, même après tout ça, trouve encore des raisons de se plaindre et cherche constamment à démontrer qu’elle est lésée, qu’elle est victime des circonstances et d’une injustice flagrante.

Si Dory représente la face sombre de cette fable, ses camarades, malgré leurs petits malheurs, apportent une dose d’humour bienvenue, qui permet de rendre l’ensemble plus respirable. La série dégaine alors l’arme secrète de cette saison 3, l’avocate de Dory, dont c’est la première plaidoirie, Cassidy Diamond, reine du vocal fry, interprétée avec maestria par Shalita Grant. C’est d’ailleurs notre seul regret : évincée par Dory et son égocentrisme exacerbé, Cassidy n’aura droit ni à une sortie digne de ce nom ni à sa revanche. Mais le verdict final est cohérent et abonde dans le sens du cynisme de Search Party : quand on est Blanc·he (ou perçu·e comme tel·le, puisque Dory est en fait d’origine iraquienne) et bien né·e, on s’en sort toujours.

Enfin, Search Party sait qu’elle peut miser sur Elliott (John Early, magistral) et Portia (campée par la tout aussi formidable Meredith Hagner), deux seconds rôles qui sont loin de faire tapisserie. C’est par ces deux-là que l’absurde éclaire la série. Le premier peut raconter les pires bobards et la seconde peut faire les plus grosses bourdes, on a la certitude que le système sera tout de même de leur côté. La série pousse même le vice jusqu’à faire confesser à Elliott, en plein procès et à voix basse, leur implication dans le meurtre de Keith. Notre duo s’en tire sans la moindre égratignure. Pour ces gens-là, la justice est aveugle, mais elle est aussi sourde.

La saison 3 de Search Party est disponible sur OCS.