Les Irréguliers de Baker Street ou le difficile héritage de Sherlock Holmes

Les Irréguliers de Baker Street ou le difficile héritage de Sherlock Holmes

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© Netflix / Matt Squire

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Par Delphine Rivet

Publié le

Compliqué d’exister dans l’ombre du célèbre détective, mais la série a plus à offrir qu’elle ne le croit.

Si vous espérez voir une énigme digne du Signe des quatre ou du Chien des Baskerville, passez votre chemin ! Les Irregulars sont certes les yeux et les oreilles de Sherlock Holmes dans les rues de Londres en pleine ère victorienne, mais ils et elles font bande à part le temps d’une série, lancée par Netflix ce 26 mars. Créée par Tom Bidwell, la série réinvente ce groupe de gamin·e·s des rues imaginé en 1887 par Arthur Conan Doyle dans Une étude en rouge. L’ombre du détective plane sur ces huit épisodes – il y fait même une apparition sous les traits de Henry Lloyd-Hughes – mais le gang d’ados a ses propres mystères à résoudre.

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Car depuis quelque temps, la capitale britannique est le théâtre de crimes aux relents surnaturels. John Watson, le tout aussi célèbre bras droit de Sherlock Holmes (ce dernier est aux abonnés absents), décide d’engager ce groupe de jeunes marginaux pour enquêter sur ces étranges affaires. Bea, sa petite sœur Jessie, hantée par de terrifiantes visions, Billy et Spike font alors la rencontre de Leopold, un garçon un peu timoré qui cache sa véritable identité. Il est en réalité l’un des fils de la reine Victoria, un prince de sang royal donc, atteint d‘hémophilie et qui a fait le mur du palais de Buckingham pour s’encanailler et échapper à sa cage dorée. Cette bande hétéroclite va tenter de mettre fin aux forces maléfiques qui ont pris le contrôle de la cité victorienne.

Comme on le disait plus haut, ne vous attendez pas à des enquêtes à la Sherlock Holmes. Même si la série se construit, au moins pour une bonne partie de la saison, sur la formule de “l’affaire de la semaine”, elle est en fait un mélange, pas si mal foutu, de plusieurs genres : The Irregulars, c’est à la fois un teen drama, un cop show, un thriller fantastique et une série “en costumes”. Elle doit beaucoup de son charme à son casting avec, en tête, Thaddea Graham, merveilleuse dans le rôle de Bea, la leadeuse du groupe, et Jojo Macari, dans la peau de Billy, la forte tête de la bande.

On émet quelques doutes, en revanche, sur le choix de Harrison Osterfield pour interpréter Leopold, la performance du jeune acteur étant plutôt insipide. Chacun·e a en tout cas de la place pour défendre son personnage, même si on aurait souhaité plus de backstory les concernant. Les quatre “Irregulars” sont très vite attachants, et c’est le principal levier de cette série pour nous faire revenir d’épisode en épisode. Leurs aventures, elles, manquent parfois de panache et d’intelligence. N’est pas Sherlock Holmes qui veut…

The Irregulars surjoue justement ce lien de parenté avec l’illustre enquêteur. C’est certainement un très bon argument pour attirer le public, mais la déception n’en est que plus grande quand on comprend la supercherie. Le plus célèbre des détectives fascine parce qu’il est un être exceptionnel, dont l’intellect et les nerfs sont mis à rude épreuve dans des enquêtes aussi passionnantes que perverses dans leur élaboration. Sa relation avec John Watson est aussi, bien sûr, l’une des raisons pour lesquelles on aime tant lire ou voir ses aventures. Elle était au cœur de la série de Steven Moffat et Mark Gatiss, Sherlock, avec le succès que l’on connaît. Et puis il y a ces ennemis emblématiques, comme Moriarty, les seuls capables de se mesurer d’égal à égal à notre fin limier.

© Netflix / Matt Squire

The Irregulars a donc beau invoquer le nom de Sherlock Holmes à chaque épisode, et faire de John Watson (incarné par Royce Pierreson) l’un des personnages centraux de son récit, elle n’a finalement que peu de connexion avec ce qui fait l’essence du détective de Conan Doyle. Une fois qu’on a compris ça, si tant est qu’on accepte de lui pardonner ce crime de lèse-majesté, la série Netflix s’avère être un divertissement efficace, mené par une troupe d’ados attachants. The Irregulars aurait donc très bien pu se passer de ce pesant parrainage. La série, qui s’inspire pourtant des personnages créés par Arthur Conan Doyle, trahit cet héritage à bien des égards. Les enquêtes sont loin d’avoir la finesse insufflée par le brillant auteur dans l’œuvre originale et l’arrivée de Sherlock Holmes, bien qu’elle implique un basculement assez intéressant dans la dynamique de groupe, est plutôt une déception.

The Irregulars n’arrive jamais totalement à s’en détacher parce qu’elle a sans doute misé un peu trop sur l’aura du personnage. Pourtant, elle nous ferait presque oublier son charismatique aîné quand elle s’aventure sur des scènes très émotionnelles, comme dans les petits moments de complicité volés entre deux missions dangereuses. Car c’est là que bat le cœur de The Irregulars : dans les liens d’amour et de solidarité qui unissent ces ados débrouillards et durs à cuire, livrés à eux-mêmes dans une ville et à une époque qui ne faisaient de cadeau à personne.

Si la série manque le coche avec les enquêtes, c’est aussi parce qu’elle passe complètement à côté de leur atout numéro 1 : Bea et les siens, parce qu’ils sont des parias, sont invisibles. C’est précisément pour cette raison que John Watson les embauche. The Irregulars aura donc du mal à séduire les puristes de Conan Doyle, mais elle devrait convaincre les amateur·ice·s de littérature fantastique destinée aux jeunes adultes. Et, si saison 2 il y a, on lui souhaite de s’émanciper de l’imposante figure de Sherlock Holmes. Elle a plus à offrir qu’elle ne le croit.

Les huit épisodes de la saison 1 de The Irregulars sont disponibles sur Netflix.