Avec The New Pope, Paolo Sorrentino revient provoquer et sublimer la foi catholique

Avec The New Pope, Paolo Sorrentino revient provoquer et sublimer la foi catholique

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Par Marion Olité

Publié le

Jude Law laisse sa place à John Malkovich.

Attention, il est fortement conseillé d’avoir visionné toute la saison 2 de The New Pope avant de lire cette critique, qui contient des spoilers.  

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Sensation de la rentrée 2016, The Young Pope mettait en scène la crise de la foi du saint et scandaleux Pape Pie XIII, incarné par un Jude Law au sommet de son art, magnifié par la caméra amoureuse de Paolo Sorrentino. La saison s’achevait par l’attaque cardiaque du “jeune pape”, qui commençait enfin à gagner en sérénité et en maturité. Trois ans et demi plus tard, le cinéaste italien remet ça, appelant sa saison 2 The New Pope, pour la beauté du geste, me direz-vous. Oui, mais aussi pour la cohérence narrative. 

La fiction reprend, alors que Pie XIII a sombré dans le coma depuis plusieurs mois et qu’il faudrait désormais un miracle pour qu’il se réveille. Les cardinaux n’ont d’autre choix que de lancer l’élection d’un nouveau pape. Après un premier essai infructueux avec un homme beaucoup trop anticapitaliste et antiprivilège pour son propre bien – dont les idées sont proches de celles du Grand Moineau dans Game of Thrones – le nouveau souverain pontife va prendre les traits de John Malkovich. Voilà donc le sulfureux Vicomte de Valmont (dans le classique Les Liaisons dangereuses de Stephen Frears) plongé dans les couloirs du Vatican. Il incarne un lord anglais, John Brannox, appelé à la rescousse par ce bon vieux Voiello. À l’opposé de son prédécesseur conservateur, John Paul III est adepte de “la voie du milieu”, en d’autres termes du compromis, un mot que Pie XIII souhaitait tout simplement rayer de la carte dans la saison précédente. 

Changement de visage mais pas de lieu. Toujours aussi inspiré par la majestuosité des décors – la Basilique Saint-Pierre, les jardins du Vatican, la chapelle Sixtine… reconstitués dans les studios de la Cinecitta à Rome – Paolo Sorrentino en utilise les moindres recoins, filmant ses espaces saints avec autant d’amour que de sens de la provocation. C’est déjà ce qui faisait le charme de la première saison. Armé non pas de ses pinceaux mais de sa caméra, le cinéaste voue un véritable culte à la composition de ses cadres, réalisant un tableau de maître en mouvement.

Sexe et papauté

Esthétiquement, The New Pope est toujours aussi inventive et saisissante. En revanche, en l’absence de sa muse magnétique Jude Law – plongé dans le coma pendant une bonne partie de la saison – le réalisateur semble avoir cherché à compenser ce manque de sensualité émanant du précédent pape par un déferlement d’images porno chic.

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Il incombe donc à quasiment tous les personnages féminins – Cécile de France et Ludivine Sagnier en tête – de tomber le haut et le bas. C’est un peu facile pour rendre une série stylée, de faire danser lascivement des nonnes sur une musique électro (c’est le cas sur plusieurs génériques), ou de sexualiser à outrance ses personnages féminins. Certes, on imagine bien que dans un lieu où les désirs sexuels se doivent d’être étouffés, ça démange aussi bien les cardinaux que les sœurs. Mais il y a des façons de représenter la frustration sexuelle sans tomber dans la facilité de dénuder de belles jeunes femmes dansant lascivement devant ses messieurs légitimement troublés. C’est étonnamment le seul aspect de la série où l’on peut reprocher à Paolo Sorrentino un manque de créativité. Or, il l’était en saison 1, et l’est encore par moments, notamment dans cette très belle scène durant laquelle une nonne lave Pie XIII plongé dans le coma.

La séquence en clair-obscur mélange le sacré (elle évoque le corps du Christ) et le désir irrépressible, car ils ne font peut-être qu’un finalement. La pieuse femme va s’allonger sur un banc près du Pontife, sa main se lève comme celle de Dieu dans le tableau La Création d’Adam avant de retomber vers ses parties génitales, la caméra suggérant sans détour qu’elle va se masturber. Voilà une scène provoc’ et porteuse de sens, qui suggère plus qu’elle ne montre. Dommage donc, que les autres personnages féminins se retrouvent quasi systématiquement dénudés par le male gaze (le regard masculin) de Paolo Sorrentino. 

Javier Camara, Ramon Garcia, Silvio Orlando, Cécile De France et Maurizio Lombardi. (© Netflix) 

Malgré ce bémol esthétique et narratif (ces scènes ne racontent pas grand-chose si ce n’est l’attrait de vieux hommes pour la chair fraîche), il serait dommage de se priver d’une saison qui fait briller l’incomparable John Malkovich, sorte de pape emo pas si éloigné de cela que Pie XIII. Comme lui, il est tourmenté par un traumatisme familial et ses parents l’ont quasiment abandonné. Et comme son prédécesseur, Jean-Paul III est constamment assailli de doutes quant à sa foi religieuse et sa place dans le monde. Il a aussi très bien compris notre ère de la communication.

Si Lenny Bernardo donnait dans la com’ disruptive (ne jamais donner aux fidèles et aux médias ce qu’ils attendent) et jouait sur un manque – il refusait de dévoiler son visage au monde – le nouveau souverain pontife est une sorte d’influenceur pop, qui profite de son nouveau statut pour rencontrer ses idoles, Marilyn Manson et Sharon Stone. Ces deux icônes dans leur domaine n’ont pas été choisies par hasard : la première représente tout simplement l’antéchrist accueilli au Vatican quand la deuxième reste pour des générations d’hommes l’image de la tentatrice féminine sûre d’elle. La découverte de ses jeunes années punk va achever d’en faire un pape cool par excellence. 

Au-delà de la performance savoureuse de Malkovich – torturé, nonchalant, égal à lui-même mais toujours brillant – le rôle réduit du personnage de Jude Law permet de faire briller des seconds rôles qui constituent l’âme de la série. Dans la droite lignée de la première saison, côté cardinaux, le paradoxe sur pattes Voiello (Silvio Orlando) et le lumineux Gutierrez (Javier Cámara) sortent leur épingle du jeu. Cécile de France, aka Sofia Dubois, a aussi l’occasion d’échanger de très belles scènes avec John Malkovich tandis que son amitié avec Voiello est approfondie. 

Sur le fond, cette nouvelle saison aborde des sujets qui fâchent : Sharon Stone a le privilège de remettre le mariage homo sur la table, une grève des nonnes permet de parler des droits des femmes dans ce milieu dominé par les hommes, tandis qu’une menace terroriste grandit, matérialisée par la présence flippante de cet écran télé qui dévoile un groupe d’extrémistes musulmans. Une image évocatrice qui renvoie évidemment à toutes celles que nous voyons régulièrement aux JT depuis une bonne décennie. Mais les catholiques aussi devront faire face aux extrêmes, et pour cause. Souvenez-vous : Pie XIII appelait en première saison (S1E5) à une dévotion totale de ses fidèles. “Le fanatisme est amour”, clamait-il dans son discours à des cardinaux… interloqués. Si Lenny se rendra compte de son erreur dans la deuxième partie de la saison 2, il n’empêche que ses idées dangereuses ont porté leurs fruits, comme on le découvrira dans le dernier épisode. Ce Pape fanatique a produit des fidèles fanatiques. Pour le modéré Jean-Paul III, “fanatisme et bêtise” sont la même chose. Finalement, dans un arc rédempteur, Lenny Bernardo accomplira son destin de “saint” et se ralliera à “la voie du milieu”. 

La fin de saison, ouverte, laisse imaginer que Paolo Sorrentino pourrait se laisser tenter d’ici quelques années à donner une troisième saison à une série qui n’en finit pas d’explorer la beauté et les vices de la condition humaine.  

Composée de neuf épisodes, The New Pope est actuellement diffusée sur Canal+.