La série Black Girl convoque l’horreur et l’hypocrisie du milieu professionnel sur les questions de diversité

La série Black Girl convoque l’horreur et l’hypocrisie du milieu professionnel sur les questions de diversité

Image :

© Hulu

photo de profil

Par Jennifer Padjemi

Publié le

La série confirme que le monde de l’entreprise est finalement l’un des meilleurs terrains de jeu pour évoquer les dynamiques raciales, de pouvoir et de genre.

En dix épisodes de trente minutes qui se binge-watchent aisément, Black Girl, la nouvelle série diffusée sur Disney+, propose de dénoncer le racisme sous toutes les coutures, en prenant le milieu de l’édition comme “scène du crime” — une industrie largement dénoncée pour son manque de diversité en 2020, pendant les protestations du mouvement Black Lives Matter. Et pour cause, Zakiya Dalila Harris, l’autrice du best-seller éponyme (en anglais) The Other Black Girl, sorti en 2021, s’est en partie inspirée de sa vie professionnelle.

À voir aussi sur Konbini

Traduit en français par Maureen Douabou, le livre se penche sur la vie de Nella Rogers, une jeune assistante éditoriale noire dans une prestigieuse maison d’édition américaine. Elle voit son quotidien basculer le jour où Hazel, une jeune femme noire comme elle, rejoint la boîte à un poste similaire. Celle qui souffrait d’être “la seule” dans un entourage professionnel très blanc va d’abord se réjouir, avant de s’apercevoir que sa nouvelle collègue n’était peut-être pas celle qu’elle pensait être…

Leur relation va rapidement osciller entre soutien moral (et racial), suspicions et rivalité. Hazel va se transformer en miroir déformant pour Nella qui comprendra que ses ambitions et rêves d’inclusion ne peuvent exister sans qu’elle y laisse des plumes. Les deux sont également les héritières d’une histoire qui ne cesse de se répéter : les flash-back d’une éditrice noire et de sa meilleure amie qui a écrit LE livre de référence pour Nella et Hazel dans les années 1980 sont les clés pour comprendre ce qui se joue.

L’horreur, le prétexte qui ne fonctionne pas toujours

Loin du milieu de l’édition aux attitudes girl power et paillettes qu’on peut voir dans la série Younger, le scénario emprunte ici aux genres de l’horreur et du thriller, laissant une question subsister tout du long : et si tout cela n’était que la réalité ? La première page du livre l’annonce : “L’Histoire des Noirs appartient au genre de l’horreur”, une citation de Tananarive Due dans Horror Noire: A History of Black Horror, documentaire de Xavier Burgin en 2019.

Depuis les années 1960, le genre de l’horreur a été un vivier pour parler de racisme, notamment aux États-Unis, tant cela est lié à la manière dont il se vit dans les sociétés occidentales. Il a été un levier essentiel pour nombre de réalisateurs afin d’exorciser les peurs du passé, mais aussi d’envisager le pire de ce qui avait déjà été vécu comme tel.

En 2017, Jordan Peele a renouvelé le genre avec Get Out en y insérant une dimension sociale très importante : l’horreur n’est plus une éventualité de ce que les personnes noires pourraient vivre, mais ce qu’elles vivent réellement au quotidien. Le film a même été ironiquement associé à un “documentaire”, tant il est proche de la réalité. Depuis, de nombreuses productions lui ont emboîté le pas avec plus ou moins de succès : Ma, Antebellum, Them, Nanny, Candyman…

© Hulu

Dans Black Girl, quand Nella découvre le pot aux roses, elle balance à sa collègue : “On est dans Get Out ou quoi ?”, un clin d’œil référencé qui fait sourire. Mais à force de voir l’horreur semblable à la réalité sur nos écrans, de nombreux téléspectateurs et critiques ont fini par dénoncer le trauma porn que pouvaient véhiculer ces fictions à succès, parfois plus soucieuses de satisfaire un white gaze qu’à s’en libérer pour de bon. C’est à se demander si l’humour et l’horreur sont les seuls moyens de parler du quotidien vécu par les personnes noires, ou s’ils constituent le seul espace que l’industrie audiovisuelle accepte d’accorder aux personnes noires derrière la caméra.

Quand la rivalité entre personnages féminins prend tout son sens

La question se pose notamment dans Black Girl, car la première partie arrive à montrer les rouages d’une entreprise aussi féodale qu’une maison d’édition, où chacun a un rôle défini qui ne doit pas trépasser l’autorité du chef. Il est intéressant de voir comment la rivalité entre Nella et Hazel ne repose pas uniquement sur leur couleur de peau, mais également sur leur âge, leur milieu social et les codifications que chacune adopte pour survivre dans cette jungle du travail.

Face à elles, leurs supérieures, l’une blonde, l’autre brune, sont en rivalité permanente depuis leurs débuts en tant qu’assistantes. Quelle que soit leur position, il n’y aura de toute façon qu’une seule place à la fin, c’est ainsi que le monde du travail fonctionne pour les femmes. C’est une règle tacite intégrée et superbement explorée dans la série.

Quand celles-ci sont jeunes, connectées et noires comme Nella et Hazel, il faut ajouter à cela le fait qu’elles doivent, en plus de leur invisibilisation, jouer des coudes avec toutes celles qui font la queue avant elles, pour espérer accéder aux mêmes responsabilités. Nella voit l’arrivée de Hazel comme un éventuel soutien avant de la voir manœuvrer différemment pour se faire accepter par ses collègues blancs.

Ce parallèle est imposé aux femmes noires dans le monde de l’entreprise quand elles sont plus d’une (ce qui est déjà rare). Si elles se comparent, c’est notamment parce qu’elles sont constamment mises en compétition. On prétend leur faire une fleur, il ne faudrait pas en abuser et se créer un groupe de soutien non plus. Hazel arrive dans l’entreprise comme une version inattendue de Nella : quand celle-ci est une geek réservée qui suit les règles, l’autre est enjouée et disruptive ; quand elle essaye tant bien que mal de se fondre dans la masse à l’aide de vêtements ennuyeux aux couleurs ternes (mais avec un afro), l’autre assume qui elle est et n’a pas peur d’être visible en portant des couleurs chatoyantes et des vêtements à la mode.

© Hulu

“Qui est la meilleure Noire entre les deux”, semblent poser les regards inquisiteurs. Pourtant, tous les moments où elles se soutiennent ou se jaugent sont aussi réalistes que rares pour être remarqués dans une série de cette envergure. Alors, que vient faire l’horreur dans tout ça ? Une prophétie alambiquée — [SPOILER] une cire coiffante censée rendre les cheveux afro plus malléables et par là, aider à se libérer du poids racial — sert de métaphore pour illustrer toutes les soi-disant “facilités ” créées pour aider les femmes noires, mais qui en réalité les emprisonnent, les empoisonnent même.

Tous les paramètres qui sortent du réel dans la série reprennent allègrement les horreurs que les femmes noires ont dû subir et subissent encore aujourd’hui. De l’injonction à la respectabilité à celle de se coiffer avec une coupe lisse et/ou longue, en passant par l’excellence et la bienséance, ces éléments reflètent la monstruosité d’une société qui impose ses règles. Passer par le cheveu pour dénoncer tout cela n’est pas anodin puisqu’il représente un élément essentiel à la performance de la féminité.

Quand il est afro, il est à l’intersection de toutes les injonctions faites aux femmes noires, alliant genre et race. Ce n’est pas sans rappeler le film Bad Hair de Justin Simien qui s’était lui aussi attaqué à la question du cheveu afro dans le milieu professionnel. Ces cheveux reflètent un tiraillement entre aliénation et libération, qui dépend du côté où l’on se trouve. “Êtes-vous plutôt une Nella ou une Hazel ? L’avez-vous été ? Ou qui souhaitez-vous être ?”, demandent les scénaristes aux téléspectatrices concernées.

La série possède notamment quelques très bons épisodes en termes de réalisation et d’écriture, qui réussissent à illustrer le dilemme de vouloir tenter de changer à l’intérieur d’un système bien établi, ou rester un témoin externe pour pouvoir mieux le combattre. Une piste de réponse semble se dessiner en fin de saison, même si l’intrigue ne parvient jamais à nous dire clairement qui est du bon côté de l’histoire.

Black Girl est une série qui tient en haleine jusqu’au bout malgré ses défaillances, notamment grâce à un casting bien choisi et des dialogues bien ancrés dans leur époque. Elle aurait mérité de pousser et d’assumer sa dimension satirique jusqu’au bout. Si on laisse de côté les moments d’égarements, la série confirme que le monde de l’entreprise est finalement l’un des meilleurs terrains de jeu pour évoquer les dynamiques raciales, de pouvoir et de genre.

La saison 1 de Black Girl est disponible sur Disney+.