La série Signe astrologique : Vierge, par le réalisateur de Sorry to Bother You, illustre l’expérience de l’altérité dans une société capitaliste

La série Signe astrologique : Vierge, par le réalisateur de Sorry to Bother You, illustre l’expérience de l’altérité dans une société capitaliste

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© Prime Video

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Par Jennifer Padjemi

Publié le

Quand la fascination a ses limites.

Aucun autre réalisateur n’aurait pu voir sa série diffusée sur une plateforme comme Prime Video, tout en dénonçant ce que ce mastodonte du capitalisme représente. Ce n’était pas son premier choix, mais pour 53 millions de dollars en budget accordé, Boots Riley l’a fait. Ce touche-à-tout activiste, rappeur, cinéaste et communiste a décidé qu’il ne voulait pas choisir une seule casquette dans ses projets artistiques. Il met tout de lui et de ses idées.

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En 2018, Sorry to Bother You faisait sensation dans la cour des grands. Pourtant présenté comme un film indépendant à petit budget, il a très rapidement trouvé son public : les amoureux de cinéma politisé, pour qui la forme compte autant que le fond. Le film retraçait l’histoire de Cassius Green, salarié dans une entreprise de démarchage commercial téléphonique, qui décide (ou n’a pas vraiment le choix) de se mettre en péril pour gravir les échelons, jusqu’à se transformer totalement.

Peu accessible au premier abord, le film a connu une nouvelle lecture à l’aune de la pandémie de Covid, où de nombreux salariés ont dû travailler deux fois plus pour espérer conserver leur travail. Le capitalisme sous toutes ses formes traverse l’art de Boots Riley, qui œuvre notamment pour le cinéma local dans la baie de San Francisco, à Oakland précisément où il a grandi (et où se déroule Signe astrologique : Vierge, majoritairement tournée à la Nouvelle-Orléans).

L’époque disséquée

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Sa nouvelle série Signe astrologique : Vierge (I’m A Virgo en version originale), s’inscrit dans la même lignée. Aux frontières de l’hyperréalisme et de la science-fiction, voire de l’afrofuturisme, la série fait appel, comme toute l’œuvre de l’artiste, à la violence de la réalité et aux limites du fantastique. Le réalisateur décrypte l’époque sous un prisme unique.

On y suit la trajectoire de Cootie (interprété par Jharrel Jerome, plébiscité pour son rôle dans When They See Us), élevé par son oncle et sa tante très protecteurs. La raison ? C’est un géant (4 mètres de haut), trop hors norme pour vivre normalement dans une société qui rejette la différence.

Les gens vont trouver tous les moyens pour t’utiliser, et quand ils n’auront plus besoin de toi, ils te jetteront, lui rappellent ses tuteurs.

Éduqué principalement par le biais de la télévision, des livres et de ce que les adultes dans sa vie lui ont transmis, il commence à être pressé de devenir un jeune homme “comme les autres” avant ses 21 ans, l’âge auquel on lui avait promis la liberté.

À 19 ans, il découvre ainsi le monde dont on souhaitait le protéger. Les amis, les sorties, la drague, les burgers, et tout simplement la musique, qui était exclue de son éducation, vont arriver comme un éblouissement avant de faire face à la dure réalité de la vie : les personnes comme lui ne seront jamais vraiment acceptées dans la société, malgré des faux messages d’espoir. Ces personnes sont les noirs, les minorités, les autres.

Un corps, 1 000 interprétations

Les premiers épisodes proposent l’idée de démesure face au corps de Cootie qui ne rentre dans aucune case, mais qui fascine. À peine découvert par le monde, il deviendra un objet de convoitise économique, sexuelle, politique. Boots Riley n’hésite pas à dénoncer l’opportunisme qu’ont les marques et les entreprises à exploiter les corps “déviants” aux yeux de la majorité, mais qui deviennent intéressants lorsqu’ils rapportent beaucoup d’argent. C’est un agent véreux lui promet de faire de lui une star “et un symbole de la représentation”, afin que la marque gagne en popularité et une nouvelle cible démographique.

Ce corps ainsi médiatisé devient aussi l’occasion d’en faire l’étendard d’une cause politique ou religieuse. Une illustration fictive du mouvement Black Lives Matter y est représentée, après le décès d’un jeune homme brutalisé par la police — l’occasion également de dénoncer le système de santé aux États-Unis. Cootie ne comprend pas pourquoi après avoir été enfermé tant d’années, il est propulsé tantôt comme un modèle, tantôt comme une menace… Avant qu’il ne soit rejeté complètement car trop effrayant et potentiellement dangereux.

Ce corps est également l’objet d’un fantasme bien développé pour Flora, celle qui deviendra sa petite amie, mais aussi pour le regard du téléspectateur. Par un jeu de caméras et de disproportions, une scène de sexe incroyable de onze minutes parvient à jouer des perspectives raciales et sociales que la société porte sur des personnes vues comme différentes. La question autour de la prétendue taille de son sexe est subtilement posée, avant de donner une réponse claire qui contourne les stéréotypes fétichisants.

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Ce corps trouble tout. Des plans de caméras à notre vision, rien n’est habituel. Face à lui, le méchant de la série, milliardaire de la tech appelé The Hero (qui fait étrangement penser à Jeff Bezos), va développer un système de sécurité pour surveiller les quartiers considérés comme turbulents afin de mieux contrôler la population. Les trois derniers épisodes réinventent les mythologies des comics, mais on s’y perd.

Il y a beaucoup de bonnes idées, mais trop d’informations dans Signe astrologique : Vierge. Empruntant au cinéma de Michel Gondry ou de Spike Jonze dont il est fan, Boots Riley ne parvient pas toujours à faire mêler le surréalisme aux positions politiques contemporaines qu’il souhaite défendre. Comme pour Sorry To Bother You, cela nécessitera sûrement un temps de digestion pour comprendre tous les petits détails et interprétations qui ne sont jamais anodins. Signe astrologique : Vierge est hautement étrange, ce qui la rend parfaitement unique.

La saison 1 de Signe astrologique : Vierge est disponible sur Prime Video.