A7 de SCH devient la première mixtape de diamant : retour sur une référence absolue

A7 de SCH devient la première mixtape de diamant : retour sur une référence absolue

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Par Guillaume Narduzzi

Publié le

A7 rentre définitivement dans l’histoire du rap français avec 500 000 exemplaires vendus.

Rarement une mixtape n’aura autant ressemblé à un album. Le 13 novembre 2015, SCH dévoilait son premier long projet : A7. Un disque qui vieillit toujours aussi bien et reste, six ans après, une référence absolue pour nombre d’auditeurs aguerris et de rappeurs, et revient incontestablement dans la discussion dès lors qu’on aborde la catégorie des “classiques” du rap français des années 2010. Atteignant aujourd’hui les 500 000 exemplaires vendus, ce disque est sur le point de devenir disque de diamant. Le premier de l’histoire du rap français pour une mixtape.

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Alors que Gomorra est sorti en 2014, SCH débarque en surfant sur ce succès international comme s’il était tout droit sorti du casting de la série italienne inspirée du livre de Roberto Saviano. Il reprend sa noirceur ainsi que l’esthétique de voyou élégant, un peu bobo sur les bords, et donne une dimension très européenne à son personnage : un rappeur d’origine allemande, avec un style de mafieux italien, qui nous vient d’Aubagne et baigne plus ou moins dans le grand banditisme marseillais. L’artiste est mystérieux et intrigue par nature les auditeurs.

D’autant plus qu’à ce moment-là, le public est particulièrement réceptif aux nouvelles expériences d’un rap tricolore en plein renouvellement. Nekfeu (en solo), Niska, Georgio, JuL, Gradur, Vald ou encore le duo PNL sont tous en train d’exploser aux yeux du grand public. Lacrim, les Casseurs Flowters, Lino, Kaaris et Booba sont de retour à leur meilleur niveau. En cette année bouillonnante, SCH s’affirme pleinement comme une singularité à part entière de la scène française.

Un rap français en plein renouvellement

De plus, il démontre avec ce premier disque une palette vocale large et pertinente. Avec sa voix venue des enfers, il oscille entre les deux courants principaux du moment, pour n’en garder que l’essentiel : l’efficacité de la trap et le raffinement du cloud rap. L’auto-tune est présente à foison, mais toujours au service de la direction artistique du projet, et le rappeur du sud de la France arrive avec ses propres expressions et son vocabulaire bien caractéristique (“scélérat”, “mathafack”, etc.). SCH a déjà tout bon pour devenir un grand.

C’est d’ailleurs dans le fameux quartier de la Scampia de Naples – là où un certain groupe originaire de Corbeil-Essonnes tournera également “Le monde ou rien”, autre tube rap français de l’année – que le S aka Götze n°19 se rend pour le clip d’un premier single en parfaite harmonie avec sa proposition artistique : “Gomorra”. Un autre morceau du projet fait lui aussi référence à la série, puisqu’il reprend les prénoms de deux des protagonistes : “Genny & Ciro”. Preuve ultime de l’attachement de SCH à l’œuvre italienne.

Si tout le monde ou presque a vécu un choc auditif – quasiment autant que pour PNL d’ailleurs – à la première écoute de l’œuvre de SCH, les avis sont contrastés. Pourtant, le personnage est bien plus complexe et sophistiqué qu’il n’y paraît, notamment grâce à son excellente écriture qui alterne entre brutalité maladive, amour de la noirceur, mélancolie chronique et fatalité incurable d’une vie qu’il n’aurait pu vivre autrement.

Une DA irréprochable

Tout est allé très vite pour Julien Schwarzer, de son vrai nom, repéré par Lacrim – qu’il invite d’ailleurs sur A7 pour l’explosif “Liquide”, le second single – un an plus tôt. Si la filiation avec son mentor paraît alors assez évidente, tant avec les thèmes abordés que cette voix grave et saccadée, SCH s’avère beaucoup plus polyvalent et délicat. A7, sorti sous les labels Braabus Music, Def Jam France et Universal, est un modèle de cohérence, de vision artistique et d’innovation.

Une réussite rendue possible grâce à Katrina Squad – les beatmakers toulousains Guilty et DJ Ritmin –, qui a composé la première moitié d’A7, et DJ Kore, qui a produit la seconde tout en assurant la direction artistique du projet. Les cheveux lisses, les vêtements ajustés, la voix filtrée, les dents éclatées, SCH sort immédiatement du lot. Les quatorze titres sont parfaitement calibrés pour faire de lui l’un des futurs visages indéboulonnables du rap français.

Si le titre de la mixtape est une référence évidente à l’autoroute reliant Lyon et Marseille, le projet va conquérir la France entière dès sa première semaine d’exploitation avec plus de 12 000 ventes et une place de numéro 1 au classement du digital. Une prouesse pour un premier projet, qui n’est alors même pas promu comme un premier album. Mais si la mixtape connaît un succès immédiat, celui-ci va être de plus en plus croissant avec l’arrivée des clips de “Champs-Élysées” et “Fusil”, véritables hits qui vont forger la légende du rappeur d’Aubagne et offrir une rare longévité à A7.

Le premier cité est un tube incontournable de l’année 2015, véritable ode à la vie de “grosse moula”, comme le dirait le rappeur himself. Une vie luxueuse et fastueuse qui passionne, avec un refrain entêtant au possible malgré des paroles parfois à peine compréhensibles en raison de la diction de SCH. Mais l’imagerie de rappeur charismatique, avec une bonne dose de classe, autant dans les voitures que les sapes, et à fond dans le vice, fonctionne redoutablement bien.

Des titres gravés dans son époque

Sur “Fusil”, toujours l’une des plus belles réussites commerciales du rappeur à ce jour, SCH expose un grand sens de la mélancolie (et de la mélodie) totalement assumé. Le clip, lui aussi, est d’une importance capitale pour accompagner l’œuvre musicale. On y aperçoit SCH tout seul dans les hauteurs, arpenter les montagnes et en pleine introspection face à ses tourments.

Les plus grands bandits sont eux aussi désarmés face à la maladie d’amour. Même si on est toujours en droit de penser qu’il est habillé comme l’archétype du mec bourré d’oseille qui n’avait jamais mis les pieds à l’Alpe d’Huez, le support visuel offre une autre dimension à ce morceau d’une sincérité déconcertante. D’autant plus que “Fusil” vient conclure la tracklist d’A7, offrant ainsi la transition parfaite, souhaitée par le rappeur, pour son prochain projet.

Mais au fil des semaines, un troisième titre, l’éponyme de la mixtape, va devenir culte. Au printemps 2016, une bonne partie du peuple français descend dans la rue et manifeste activement contre la fameuse loi Travail proposée par le gouvernement. La crise sociale éclate, et SCH va devenir – un peu malgré lui – un symbole grâce à une phrase depuis devenue mythique : “Se lever pour mille deux c’est insultant.”

Rappeur haut standing

Même si quelques benêts pensent alors que le rappeur manque de respect aux personnes gagnant un petit salaire, la réalité est tout autre. Et les manifestants l’ont bien compris, puisqu’ils matraquent le morceau en question lors des rassemblements contestataires. En y repensant, nombreux sont ceux qui ont pris leur pied en entendant un tel titre joué à toute berzingue sur les enceintes de la CGT. Il faut dire qu’entre un morceau de huit minutes de Danakil et un titre de Sinsemilia, le choc des cultures était là aussi plutôt violent.

On peut aussi remarquer que “Le monde ou rien” de PNL – que de similitudes, décidément – connaîtra une trajectoire équivalente, à un degré toutefois moindre que le morceau du S (probablement le meilleur d’A7, par ailleurs). Tout ça pour dire qu’on en oublierait presque que cela s’est fini avec un bon 49.3 des familles. Mais qu’importe, il s’agit alors de son troisième titre consécutif à acquérir un statut de musique culte, le tout en l’espace de quelques mois seulement.

De quoi renforcer un peu plus l’aura magnifique d’A7. Encore aujourd’hui, la mixtape revient régulièrement comme le meilleur projet du S et jouit toujours d’une critique aussi dithyrambique. Le disque livre avec succès une vision variée des talents de SCH. Rarement un rookie n’aura fait aussi forte impression dans l’histoire récente du rap français.

D’autant plus que les chiffres continuent de grandir, avec plus de 440 000 ventes à ce jour d’après le Snep, soit toujours le plus gros succès de sa discographie malgré les très bons albums que le rappeur a envoyés par la suite (le mésestimé Deo Favente, JVLIVS et Rooftop). L’artiste “passe sur S.K.Y., passe sur OKLM” et les ventes s’en ressentent. A7 restera à jamais le socle indéfectible de l’exceptionnelle carrière de Julien Schwarzer qui continue de se profiler au fil des ans, ainsi que le projet qui a lui a collé le personnage de SCH dans la peau à tout jamais.

Article publié le 13 novembre 2020 et mis à jour le 24 novembre 2021.