Pourquoi entre les séries françaises et moi, c’est… compliqué

Pourquoi entre les séries françaises et moi, c’est… compliqué

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Par Delphine Rivet

Publié le

No more polar

Comme une grande majorité des confrères et consœurs de ma génération, j’ai été biberonnée aux séries américaines. J’aurais pu en rester là et mettre ma curiosité en berne, mais non, j’ai découvert les fictions britanniques, suédoises, allemandes… Les festivals de séries sont une bénédiction pour l’ouverture d’esprit. Les séries hexagonales, elles, ne m’ont vraiment séduite qu’à de très rares exceptions. J’identifie plusieurs raisons à cela : la première, c’est que, encore aujourd’hui, la télé française se borne surtout à ne proposer que des polars, des séries policières avec des enfants disparus ou des femmes trucidées.
Pour une raison que je ne m’explique pas vraiment, c’est un genre fédérateur. Et vous savez ce qui est encore plus rassembleur ? Nous ressortir encore et toujours les mêmes acteurs et actrices. Je suis contente qu’Ingrid Chauvin et Robin Renucci (lequel est d’ailleurs excellent, ce n’est pas le souci) aient encore du boulot, mais pourrait-on un peu changer notre cheptel ? Et nos chères chaînes télé, quand elles tiennent un truc qui marche, elles ne le lâchent plus et le déclinent à l’infini. Dans des recoins plus confidentiels du PAF, on trouve aussi des “drames du réel”, des histoires à fleur de peau filmées avec des lumières plus-naturalistes-tu-meurs. Alors franchement, j’aimerais m’en émouvoir, mais je trouve ça moche, et chiant. C’est un point de vue très personnel, et j’ai bien conscience qu’une bonne dose d’a priori se glisse dans ce désamour.

J’en ai marre des polars, marre des séries qui s’emparent de phénomènes de société pour les aborder n’importe comment, celles qui ont dix ans de retard sur le reste du monde, celles qui ne passent pas le test de Bechdel, celles qui n’ont pas encore compris l’intérêt d’avoir un casting issu de la diversité, celles qui parlent comme dans un téléfilm des années 1970, celles qui croient que c’est “trop méta” de citer des séries américaines, celles qui ne comprennent pas les règles élémentaires des trois actes, celles qui enferment les femmes dans des clichés, celles qui enferment les hommes dans des clichés, celles qui font un bon bouche-trou entre la météo et la sixième coupure pub de la soirée…
Mais j’ai commencé à aimer follement les séries avec des histoires qui, justement, ne ressemblaient à rien de ce que je connaissais. Même le Cook County de Chicago, dans Urgences, me paraissait plus exotique que n’importe lequel des beauty shots de la série de France Ô, Cut. Les conspirations de Mulder et Scully, la lutte pour la survie des naufragés de Lost, les expéditions punitives de Buffy dans les cimetières, la colocation déjantée de Friends… Elles sont la définition même de ce que je recherche dans une série, ce que les anglophones appellent “escapism”. M’échapper du réel, voilà ce que je veux.

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Alors certes, ces dernières années, en allant sur des chaînes moins grand public, on voit percer quelques tentatives d’aller vers la SF et la dystopie. Deux genres que j’adore, mais dont j’ai peur qu’ils soient à leur tour mâchés, digérés, régurgités et distillés à l’infini depuis que des gens bien intentionnés dans les bureaux de Canal+, OCS ou Arte ont découvert Black Mirror et consorts. Bref, au moins sur ce front, il y a des tentatives de séduire l’antipatriote (rhooo, tout de suite les grands mots !) que je suis. J’ai vu Missions sur OCS, j’ai subi Trepalium sur Arte, j’ai un peu rongé mon frein devant Transferts (aussi sur Arte), j’ai soupiré devant Section Zero (Canal+)… Toujours rien, encéphalogramme plat.
Je reconnais à certaines des qualités indéniables, mais – et c’est là qu’on arrive à la deuxième raison de mon désamour pour les séries françaises – est-ce qu’un jour on pourra avoir des dialogues “normaux” ? C’est comme pour les chansons en fait, même les pires âneries sonnent mieux en anglais. Je ne sais pas si ça tient à un vrai problème d’écriture des dialogues ou à une structure de la langue qui permet un phrasé plus naturel en anglais, mais si j’entends encore un personnage de série française pro-non-cer tou-tes les syl-la-bes d’un texte comme s’il récitait une poésie devant la classe, je vais cramer des trucs.

Même la meilleure des fictions, même la plus audacieuse, la mieux foutue, etc., va pâtir de ces tics de langage ampoulés et me faire décrocher plus vite que la navette spatiale dans Missions. Et à l’inverse, une série maladroite, pas hyper bien filmée ou un poil lente, peut sauver les meubles si elle est bien dialoguée. Nos scénaristes sont tous d’accord pour sacrer Alexandre Astier “roi des dialogues”, mais rares sont celles et ceux qui ont su percer les mystères des répliques de Kaamelott. Un indice : c’est comme ça que les gens parlent dans la vraie vie.

Auteur·trice·s de demain, rebellez-vous !

Toutes ces petites choses qui s’accumulent, c’est pour moi autant de clous dans le cercueil de la fiction française. Elle ne me fait pas rêver, ça c’est très personnel, mais elle a aussi des fissures dans ses fondations. “On n’a pas la culture séries en France”, me diront certain·e·s. Ce n’est pas tout à fait vrai puisqu’on en produit depuis à peu près aussi longtemps que les Américains ou les Anglais, même si ce sont eux qui ont inventé le langage qui les entoure et l’industrie qui les façonne si bien, à la chaîne et en très grande quantité.
On a déjà la preuve qu’on peut faire de grandes séries en France : Un Village français, Fais pas ci, fais pas ça, Engrenages… Alors, bon sang de bonsoir, scénaristes qui me lisez, REBELLEZ-VOUS ! S’il y a une personne à convaincre dans les années qui viennent, une critique intransigeante, parmi tous mes confrères et consœurs acquis·e·s à votre cause, c’est moi ! Ce n’est pas une crise de mégalomanie, c’est juste que je me sens bien seule, parfois, à assumer ce manque d’intérêt pour les productions bien de chez nous.

Si je suis toujours curieuse de découvrir une série, quel que soit le genre ou son origine, la perspective de lancer une série française sonne plus comme du travail. Je reste ouverte d’esprit, le plus possible, mais les défauts cités ici se rappellent vite à moi. Pourtant, j’ai tellement envie de me réconcilier avec elles. J’ai même été séduite parfois, comme devant Dix pour cent, ou Lazy Company.
Ce n’est pas que l’on ne sait pas faire de bonnes séries (ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, je vous vois venir !), c’est que j’ai peur que l’on soit plus cléments avec elles à cause des handicaps qu’elles se traînent. Du coup, je ne sais plus, je suis perdue. Est-ce que je dois être plus sympa avec une série française à hauteur de 23 % par rapport à n’importe quelle autre production internationale ?
Je n’y arrive pas. Une série est une série. J’ai bon espoir que la nouvelle génération d’auteur·trice·s, aussi biberonné·e·s aux Lost, Buffy et compagnie, et qui observent avec attention ce qui se fait outre-Manche ou aux États-Unis, finissent par dépoussiérer tout ça. Pour y parvenir, il leur faudra gagner la complicité des chaînes. Celles qui, en façade, sont toujours prêtes à nous offrir le meilleur du divertissement, avec de l’audace et tout le pataquès, mais qui font barrière aux idées les plus novatrices, par peur de s’aliéner une partie du public. On aura franchi un cap quand ces chaînes arrêteront de nous servir la bonne vieille soupe de mémé pour passer à la fusion food. Ce jour-là, je me remettrai à table.