On a rencontré Elisabeth Moss, le visage des séries en 2017

On a rencontré Elisabeth Moss, le visage des séries en 2017

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Par Marion Olité

Publié le

C’était vraiment cool ! Ce n’est pas si souvent que ça qu’on a la chance de pouvoir retrouver un personnage, à part si vous jouez dans une série qui revient chaque année. J’ai apprécié aussi qu’il se soit passé autant de temps entre ces deux saisons. C’était parfois angoissant parce que je ne savais jamais vraiment si on allait la faire ou pas cette saison. Mais au final, je suis super contente du résultat et du fait d’avoir attendu 4 ans. Ça m’a permis d’emmagasiner des expériences dans la vraie vie. On grandit entre-temps. C’est étrange pour moi de revoir des scènes de la première saison, j’ai l’air si jeune [rires, ndlr] !

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Que s’est-il passé pour Robin durant ces 4 ans ?
 
Elle est de retour à Sydney et tente de reprendre ses marques dans la police en s’occupant d’une nouvelle affaire. Comme à son habitude, elle se donne à fond dans son boulot pour cacher ses problèmes personnels. Elle pense que si elle se concentre sur quelque chose, tout ira bien. Mais d’un autre côté, elle revient aussi pour enquêter sur sa fille et voir s’il n’y a pas un moyen de reprendre contact avec elle. Et en même temps, elle n’est pas sûre de le vouloir elle-même. C’est très compliqué.
 
Elle se trouve donc à un moment assez sombre de sa vie. Ces quatre années n’ont pas été tendres avec elle. Je suis contente qu’on n’ait pas enchaîné sur une deuxième saison et qu’on ait pu passer le moment où on la voit aller bien, puis s’effondrer avant de tenter de reprendre le dessus. J’aime le fait qu’on commence China Girl avec une Robin qui va juste plus mal qu’au moment où on l’a laissée en saison 1.

“Jane a une conscience accrue de ce que ressentent les femmes.”

Aviez-vous des envies particulières avec ce personnage sur cette saison 2 ?
 
Oui, j’avais quelques petites choses en tête. Quand Jane m’a dit : “Je ne peux pas le faire sans toi, il faut que tu sois de la partie”, je lui ai dit : “Oui, je suis partante, mais faisons en sorte que cette saison soit plus sombre, plus tordue et plus stimulante que la première.” Et évidemment, ce n’est pas simple quand on voit la première saison, mais quel est but de faire une suite si on ne va pas explorer autre chose ? J’avais aussi une envie sur mon personnage, qui arrive dans l’épisode 3. Mais je ne peux pas vous dire ce que c’est…
 
Vous avez une partenaire cette saison, incarnée par Gwendoline Christie. Comment avez-vous travaillé toutes les deux ?
C’est la première fois que je travaille sur un projet en ayant une partenaire comme dans Top of the Lake: China Girl. Robin était tellement seule dans la première saison et là j’ai cette personne avec qui m’amuser. Les deux personnages sont tellement différents, c’était merveilleux, j’ai vraiment adoré ce concept de “sparring partners” et tout l’arc narratif autour de leur relation. En fait, c’est ce que je préfère dans cette saison.
Quel est votre rapport aux scènes dénudées ? Tourner avec une femme instaure un rapport différent, j’imagine.
 
Je suis très spécifique par rapport à ce genre de scènes. Depuis la première saison, Jane a fait quelque chose de très inhabituel pour un·e cinéaste. Elle m’a dit : “On regardera ensemble tous les cadres, et si tu ne te sens pas bien, tu me le dis, je n’utiliserai aucune image de toi qui pourrais te gêner.” C’est un cadeau très généreux. De manière générale, sur les scènes incluant de la nudité, j’ai maintenant un contrat qui spécifie que j’ai un droit de regard sur ces séquences. Parce que c’est la seule façon pour moi d’accepter de les tourner.
 
Et cette façon de faire est au final plus payante pour le·a cinéaste, parce que ça instaure une confiance qui fait que l’actrice va donner plus que si le sujet n’avait pas été mis sur la table et qu’on lui demande au détour d’une scène de retirer ses vêtements. En tout cas, ça a très bien fonctionné avec Jane. Top of the Lake a été la première fois où j’avais une scène d’amour de cet ordre à gérer. Je pense que Jane a affectivement une conscience accrue des femmes, de leurs préoccupations, de ce qu’elles ressentent, de ce qu’elles peuvent aimer ou non de leurs corps… Peut-être qu’un homme ne comprendrait pas ça tout de suite.

“En tant que femme, nous sommes constamment confrontées au patriarcat.”

De manière générale, vous avez l’impression que votre voix a été entendue sur cette série ?
 
Oui, on a une façon très ouverte et collaborative de travailler, mais c’est pareil sur le plateau de The Handmaid’s Tale et je pense que, comme pour Top of the Lake, c’est parce que l’idée n’est pas de gagner. On n’est pas sur une guerre d’ego. Il s’agit plutôt de qui a eu la meilleure idée pour cette scène. Donc l’idée n’est pas que ce soit forcément moi qu’on écoute tout le temps, mais plutôt qu’on ait le meilleur résultat possible.
 
Cela dit, c’est vrai que ça m’a pris du temps de dire à haute voix ce que je pense. Cela demande de la force et du courage. Sur les débuts du développement de The Handmaid’s Tale, il fallait que je rassemble mon courage pour répondre honnêtement à un mail ou avoir une conversation. Après, c’est plus facile. On est habitués. On réalise que personne ne nous déteste et que c’est normal d’avoir des retours ou un avis.
 
Il y a un parallèle à faire dans votre parcours, de Mad Men à The Handmaid’s Tale en passant par Top of the Lake ou même The Square. Vous défendez des rôles de femmes qui évoluent dans des structures patriarcales d’une certaine manière. Pourquoi on pense à vous sur ce genre de rôles ?
 
Je pense qu’en tant que femme, nous sommes constamment confrontées au patriarcat. Et donc, ce genre d’histoires intéressantes avec des personnages féminins au premier plan se déroulent dans cet univers. Quand vous êtes une jeune femme forte, célibataire et intelligente, j’imagine que dans la vraie vie, vous vous heurtez à des hommes qui pensent que vous n’avez rien à faire là [elle fait référence à son rôle de Peggy Olson dans Mad Men, ndlr].
 
De mon point de vue, n’importe quel personnage qui se heurte à des obstacles est intéressant en soi. Ce type de rôle s’offre à moi sans que je ne le calcule en tout cas. C’est complètement inconscient.
 
 
Les héroïnes que vous incarnez sont fortes, mais entretiennent aussi un rapport complexe à la maternité. Elles sont aussi très vulnérables.
 
C’est important pour moi d’avoir les deux. Aucun homme ou aucune femme n’est qu’une seule chose à la fois. On n’est pas toujours forts ou au contraire toujours en déprime totale. Les gens ont de nombreuses facettes, donc je recherche ce genre de dichotomie dans mes personnages. Je veux le plus de couches possible à découvrir.
Vous êtes productrice sur The Handmaid’s Tale. Est-ce quelque chose que vous aimez, avoir plus de pouvoir ?
C’est vrai que j’aime le pouvoir, il faut bien l’avouer, c’est cool d’en avoir [rires, ndlr] ! J’aime l’aspect collaboratif du processus. Je ne suis pas une scénariste et je n’ai pas encore une envie irrésistible de réaliser, mais j’adore l’ensemble, les discussions, écouter les auteur·trice·s et les réalisateur·trice·s, faire des recherches, suivre l’évolution des scripts. J’aime aussi la postproduction, donner des notes et décortiquer les épisodes. J’y prends vraiment du plaisir.
Si je peux, je suis clairement motivée pour faire davantage de production. Je vais être productrice exécutive sur la saison 2 de The Handmaid’s Tale, et j’ai un autre projet de mini-série sur le feu.
Que vous apporte le rôle de productrice que ne vous apporte pas celui d’actrice ?
Il y a quelque chose de plus franc. Cela m’a permis par exemple d’avoir une voix plus imposante. Car pour faire entendre ses arguments à un groupe de personnes – que ce soit le studio, le diffuseur, des scénaristes, producteurs·trice·s – il faut être forte et dire le fond de sa pensée. Alors que les acteurs et actrices cachent parfois leurs désaccords. Il y a quelque chose du domaine de l’empowerment quand vous dites quelque chose comme : “Non, tu ne peux pas faire ça, il faut que tu m’écoutes.”
Avez-vous été surprise par les retours intenses autour de The Handmaid’s Tale ?
Oui, j’ai clairement été surprise. C’est une série très sombre, et il semblerait qu’on ait réussi le pari de faire en sorte que les spectateurs aient quand même envie de rester et de la regarder. Je ne peux vraiment rien dire à propos de la saison 2, parce qu’il est tout simplement trop tôt. Tout ce que je peux vous assurer, c’est que nos standards de qualité sont très élevés.
Cet entretien a été réalisé en table ronde lors du 70e Festival de Cannes.
Top of the Lake: China Girl est diffusée sur Arte tous les jeudis.