À la découverte de Skam, le Skins norvégien hyperréaliste

À la découverte de Skam, le Skins norvégien hyperréaliste

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Par Florian Ques

Publié le

Entre premiers émois et construction identitaire, voici l’un des meilleurs teen dramas de ces dernières années.

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Ils ont de l’acné (un peu), picolent presque tous les week-ends (beaucoup) et portent des bonnets Carhartt. Sur le papier, les lycéens norvégiens de Skam ne sont pas sans rappeler les nôtres en terres françaises, à raison. Aux antipodes des thrillers néo-noirs auxquels les pays scandinaves nous ont habitués, ce teen drama nordique n’a de cesse de mettre Tumblr en effervescence depuis plusieurs semaines. Phénomène incontournable en Norvège, Skam est au cœur de toutes les discussions et s’impose comme une fiction terriblement authentique.

Se déroulant dans le quartier ouest d’Oslo, Skam (“honte” en français) nous présente les hauts et les bas d’une bande d’adolescents, pour la plupart en première année de lycée. Chaque saison se focalise sur un protagoniste différent et le suit dans sa vie de tous les jours. D’abord Eva, la brunette introvertie en quête d’identité. Puis Noora, la jolie blonde loyale et passionnée. Le troisième chapitre, qui s’achève ce vendredi, fait la part belle à Isak, un petit mec avec une gueule d’ange apprenant à progressivement accepter sa sexualité.

Avec ses cadrages serrés et ses instants contemplatifs comme suspendus dans le temps, la série scandinave dépeint la jeunesse d’une manière douce et sincère. Les projecteurs sont braqués sur ces ados dans leurs meilleurs comme dans leurs pires moments, créant une sorte de bulle générationnelle dans laquelle il est facile de se reconnaître. Cette perspective-là est d’autant plus mise en exergue par certains choix au niveau de la réalisation, notamment lors des scènes en salle de classe.

Si les enseignants sont bien présents, ceux-ci sont coupés au niveau du cou, de sorte à ce que l’on ne voit pas leur visage. Un parti pris intéressant, abandonnant la conception du lycée comme lieu d’apprentissage et lui accordant plutôt un rôle d’évolution personnelle. Dans Skam, l’important est le relationnel, et par-dessus tout la construction de soi.

Ce portrait hyperréaliste trouve ses points d’ancrage dans l’omniprésence des nouvelles technologies, avec un penchant notable pour les réseaux sociaux. Chaque épisode est ponctué de screenshots de conversations SMS ou bien de chats vidéo via Skype. Eva, Noora et leur girl squad usent et abusent des NTIC, de la même manière que l’ensemble de la génération Y occidentale en fait usage.

Ce rapport particulier au digital est poussé à son paroxysme grâce au procédé transmédia déployé autour du programme. Tout au long de la semaine, Skam propose en effet sur son site Web des clips d’une durée variable ainsi que des captures d’écran de discussions Messenger ou autres posts venant de multiples plateformes. De vrais profils sur Instagram existent d’ailleurs pour chaque personnage, brouillant la frontière entre réalité et fiction. Lorsque le vendredi arrive, les différents passages sont regroupés afin de former un épisode complet, diffusé sur la chaîne publique NRK P3.

Cette volonté d’authenticité est au coeur de la démarche de la créatrice de la série, Julie Andem. Initialement connue à l’étape de projet sous le nom Girls 16, la série puise son inspiration dans des témoignages bien réels. Andem a voyagé pendant six mois à travers la Norvège afin de rencontrer un maximum de jeunes. Son but initial ? Appréhender ces digital natives et cerner au mieux leurs motivations, leurs rêves, leurs peurs. Une approche salutaire qui empêche Skam d’être un énième pastiche de teen drama, où intrigues rocambolesques et personnages bigger than life sont monnaie courante.

Pour un public étranger, le show offre un dépaysement bienvenu. Skam propose une immersion dans la culture des jeunes Norvégiens, introduisant les non initiés à des traditions méconnues. Comme le Russefeiring, cette période de beuverie all night long s’étalant sur plusieurs semaines pour célébrer la fin des années lycée. Une sorte de spring break dans les terres nordiques, durant lequel les ados du pays dépensent parfois un paquet de flouz pour acquérir des russebusser (des bus de fête, en somme). Vous l’aurez compris, l’alcool coule à flots dans Skam et fumer de la weed n’est pas un grand tabou.

La comparaison avec Skins paraît donc inévitable. Mais outre leur thématique principale commune, le rapprochement s’arrête là. Les teenagers de la série british ont beau être délirants à souhait, ils sont trop souvent exagérés et leurs storylines s’avèrent assez alambiquées. A contrario, ceux de Skam sont tellement crédibles que se mettre dans leurs baskets est chose facile. On se prend au jeu et on replonge volontiers dans ces premiers émois adolescents qu’on a tous traversés à un moment ou à un autre. Mention spéciale à la BO pop aussi géniale qu’éclectique, entrelaçant du Childish Gambino avec du bon vieux MGMT. La bande-annonce du show n’hésite d’ailleurs pas à incorporer une petite touche frenchie en utilisant le tube délicieusement kitsch de Yelle, “Je veux te voir”.

Accumulant les Gullruten Awards (cérémonie norvégienne récompensant les fictions nationales), la série mérite tout l’engouement qu’elle a suscité ces derniers temps. Alors qu’un remake américain a été récemment été mis en chantier, Skam a de beaux jours devant elle. Entre sexualité, insécurités et confiance en soi, elle a encore énormément de choses à dire. Pour la faire courte, girl power et couleurs pastel s’associent pour aboutir à un tableau langoureux et réussi de la jeunesse scandinave.