On a parlé de Broly et de jeux vidéo avec Patrick Borg, la voix française de Gokû

On a parlé de Broly et de jeux vidéo avec Patrick Borg, la voix française de Gokû

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Par Adrien Delage

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À l'occasion de la sortie du film Dragon Ball Super: Broly, le comédien remonte le temps et nous livre les secrets du doublage VF.

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Biiinge | Remontons le temps jusqu’à la fin des années 1960, où tout a commencé pour vous. Comment êtes-vous arrivé dans le milieu du doublage alors que vous n’étiez encore qu’un enfant ?

Patrick Borg | Je viens du théâtre, où j’ai commencé à jouer la comédie à l’âge de dix ans au théâtre de la Ville [situé place du Châtelet, à Paris, ndlr]. Le doublage est arrivé en même temps, grâce à Fernand Sardou, le papa de Michel, qui avait dit à mon père en 1967 : “Patrick, René, je connais une société qui recherche des voix d’enfants pour le doublage”. Mon père venait d’ailleurs de finir de réaliser le dessin animé Les Shadoks.

Bref, on s’est rendus à ce rendez-vous avec Fernand, et après avoir serré plusieurs mains et rencontré les patrons du studio, il y a eu un effet boule de neige. Et finalement, j’ai commencé à faire du théâtre et du doublage le reste du temps.

J’ai toujours eu un désir profond de devenir comédien et le doublage fait partie de notre travail. C’est comme prêter sa voix pour un documentaire, de la publicité voire des jeux vidéo depuis quelques années. Il y a souvent des jeunes qui me disent : “J’adorerais devenir doubleur !” Et je leur réponds toujours : “Tu sais, si tu n’apprends pas ton travail de comédien, comment veux-tu faire du doublage ?”

Il faut savoir que nous ne sommes pas des doubleurs. Les doubleurs, ce sont les sociétés de doublage qui les emploient. Nous, nous sommes des comédiens qui faisons du doublage, nous ne sommes pas des doubleurs, même si le terme est entré dans le jargon. Il faut vraiment comprendre cette nuance. Imaginez-vous pouvoir doubler quelqu’un comme Anthony Hopkins, un grand parmi tant d’autres, en vous contentant juste de lire ? Bien sûr que non, car quand tu doubles des stars de cette trempe, tu as plutôt intérêt à être un excellent comédien. Le doublage, c’est avant tout un métier de comédien.

Quels sont les acteurs célèbres que vous avez doublés ?

Il y en a eu tellement. Charlie Sheen dans la saga Hot Shots! et d’autres films, David Boreanaz depuis plus de vingt ans dans Buffy et Angel, ou des séries récentes comme Bones et SEAL Team… J’ai parfois du mal à me souvenir tant j’ai doublé de comédiens. D’ailleurs, je me sers régulièrement de Wikipédia quand j’ai besoin d’une info. J’ai la chance d’avoir des fans qui tiennent ma page à jour et qui me permettent de préserver mes souvenirs [rires].

Est-ce que vous vous rappelez de votre premier jour de doublage ?

Oui, j’avais très peur. C’était avec un monsieur adorable, qui est devenu un très bon ami par la suite et que j’adorais écouter : Jacques Thébault. Gamin, je l’entendais dans la série Au nom de la loi [Wanted: Dead or Alive, un western télévisé en noir et blanc diffusé sur CBS entre 1958 et 1961], avec Steve McQueen dans la peau du chasseur de primes Josh Randall. C’était Jacques qui doublait McQueen.

La première fois que j’ai travaillé avec lui, on partageait quelques scènes. Il commençait et je devais répondre. Et là, je l’ai regardé [Patrick Borg lève la tête, le regard émerveillé] et je n’ai rien dit, parce que j’avais à côté de moi la voix de Steve McQueen. Avec beaucoup de respect, il m’a dit : “Mais Patrick, c’est à vous !” Et je lui ai répondu : “Excusez-moi monsieur Thébault, mais je vous écoutais.”

C’est pour cette raison que je comprends les jeunes qui viennent vers moi en me disant : “Patrick, tu ne te rends pas compte mais tu as bercé notre enfance. Bien sûr que je m’en rends compte, car moi aussi des doubleurs ont bercé mon enfance à travers la télévision. Je pense à Jean-Claude Michel, la voix de Sean Connery, Henry Djanik, la voix d’Anthony Quinn et de Kojak [héros de la série policière des années 1970 portée par Telly Savalas et diffusée sur CBS, ndlr], etc. Des grands dinosaures du doublage qui sont malheureusement morts depuis quelques années.

C’étaient de vraies stars, d’excellents comédiens qui doublaient les grands films américains et les westerns de mon enfance. Ce sont des gens avec qui j’ai appris la technique du doublage. Quand tu tournes, tu t’efforces de retrouver l’émotion d’un acteur à l’image avec ta propre musicalité et d’entrer en lui, comme si tu respirais avec lui. Il faut surtout penser à regarder son œil. Les lèvres, c’est bien pour la synchro, mais l’émotion passe avant tout par le regard.

Quand vous êtes arrivé sur Dragon Ball Z à la fin des années 1980, on vous a tout de suite confié le rôle de Son Gokû ?

Pour ça, il faut rendre hommage à Thierry Redler, qui était un très bon ami à moi et est malheureusement décédé en 2014. Il l’avait doublé dans une dizaine d’épisodes avant d’être recruté par le Club Dorothée pour jouer dans la série Les Filles d’à côté [il incarnait le personnage de Marc Malloy, ndlr]. Thierry n’avait plus le temps de doubler Son Gokû et m’a présenté à Pierre Trabaud, qui était directeur artistique de la série animée en France et faisait la voix de Kamé Sennin.

C’est finalement grâce à Thierry, merveilleux comédien, réalisateur et metteur en scène qu’on m’a fait passer un essai pour la voix de Son Gokû. Pierre m’a trouvé convaincant et il a accepté que je prenne le relais de Thierry, tout simplement.

“Les lèvres, c’est bien pour la synchro,
mais l’émotion passe avant tout par le regard”

Est-ce qu’il faut forcément être passionné par l’œuvre sur laquelle on travaille pour être un bon comédien de doublage ?

Je ne pense pas qu’on doive forcément s’intéresser à la pop culture ou à la culture manga pour faire un bon comédien, comme un acteur n’a pas forcément besoin d’être passionné par un genre de cinéma en particulier pour performer. Peu importe la culture, à partir du moment où tu as accepté un rôle, tu te dois de le défendre. Pour le doublage, il ne faut pas trahir ce que l’acteur propose à l’image. Pour un dessin animé, c’est différent car la vision est subjective : tu peux le faire parler comme tu veux, tant que tu respectes la vision de l’auteur.

Est-ce que vous avez déjà rencontré Akira Toriyama, l’auteur de Dragon Ball, ou Masako Nozawa, la seiyū de Son Gokû ?

Non, je n’ai pas eu cette chance. En revanche, Philippe Ariotti [la voix de Piccolo et Freezer, ndlr] et Bruno Méyère [la voix de Whis, ndlr] sont allés au Japon récemment pour rencontrer leurs homologues nippons. Je me souviens aussi qu’au tout début de Dragon Ball, alors que la version adulte de Son Gokû n’existait pas encore, Brigitte Lecordier [la voix emblématique Son Goten, Son Gokû et Son Gohan enfants, ndlr] avait été invitée au Japon par la Toei.

Brigitte vous le raconterait mieux que le moi, mais elle avait été extrêmement surprise de la façon dont ils l’avaient accueillie. Au Japon, les comédiens faisant du doublage sont considérés comme des stars internationales, notamment ceux des dessins animés aussi populaires que Dragon Ball. Du coup, elle avait eu droit à un tour de limousine dans les rues de Tokyo et ça l’avait vraiment marquée [rires].

Patrick Borg et Brigitte Lecordier au salon Made In Asia en 2015. (© Retro MIA 2/YouTube)

En 2013, Seán Schemmel, la voix anglaise de Son Gokû, a confié lors de la Comic-Con de Londres s’être évanoui à force de hurler pour les enregistrements de Dragon Ball GT. Est-ce qu’on peut s’épuiser voire se blesser si l’exercice de doublage est trop intense ?

Personnellement, ça ne m’est jamais arrivé. Après, je suis un gars chanceux : je suis fumeur, mais j’ai fait beaucoup d’apnée dans ma vie donc j’ai un bon souffle. Mais il est vrai qu’il m’arrivait par moments de hurler et d’avoir la tête qui tourne. C’était le cas sur [Dragon Ball Super:] Broly, où nous avons passé trois jours à nous égosiller avec Mark Lesser et Éric Legrand, les voix respectives de Broly et Vegeta.

Dans ces moments-là, tu as plutôt intérêt à bien placer ta voix, sinon le lendemain, tu es sûr de devenir aphone. Je touche du bois, car j’ai rarement eu des problèmes avec ma voix. Il m’est arrivé d’être aphone à cause des angines, mais comme je suis une vieille chose (sic), je pense que les microbes ont peur de moi [rires].

Pour la prochaine question, je voulais vous montrer l’extrait suivant de Rick and Morty, la série animée déjantée de Dan Harmon et Justin Roiland.

Ma question ne porte évidemment pas sur l’alcool, mais plutôt sur les méthodes de concentration pendant les sessions de doublage. Là, on voit un comédien prêt à s’enivrer pour rentrer dans son personnage. Comment on se prépare pour lancer un “Kamé Hamé Ha” ou se transformer en Super Saiyan ?

Ça dépend des comédiens. C’est vrai qu’au théâtre ou autres, certains ont besoin de s’isoler, de faire le vide, de se retrouver avant de monter sur scène. Personnellement, ça me fait sourire… Après, chacun a sa façon de gérer l’émotion. Dans mon cas, je suis assez instinctif. Il suffit de me dire : “Action !” et j’y vais. Je peux me vautrer, évidemment, mais je n’ai pas besoin d’entrer en communion avec mon moi intérieur pour me lancer.

C’est plus difficile de doubler un personnage de jeu vidéo qu’un personnage de série ou de film ?

Oui, car pour un jeu vidéo, on n’a pas forcément d’images à disposition. Pour une série ou un film, tu te cales sur le regard et les expressions des acteurs, alors que pour les jeux vidéo, on a au mieux un dessin du personnage et la voix du doubleur anglais/américain.

Maintenant, avec l’évolution de la technologie, on a des représentations en 3D qui permettent de mieux situer l’action. On a aussi les conseils des directeurs artistiques, sous forme d’annotations. Ensuite, c’est à nous de l’interpréter. Par exemple, il y a plein de façons de jouer la colère : il y a des colères très violentes, des colères passionnelles, des colères plus passives… c’est une question de nuances.

Comment les méthodes de doublage ont-elles évolué entre les années 1990 et aujourd’hui ?

La technique est restée la même mais la technologie a facilité le processus, notamment grâce aux consoles qui sont plus rapides. À l’époque, on travaillait en boucle, c’est-à-dire que la pellicule était découpée en boucles, puis on la chargeait dans le projecteur avant de la projeter sur l’écran.

Pour synchroniser le son, on calait l’image avec une bande rythmo [bande horizontale défilant au bas de l’écran et comportant le texte que doivent prononcer les acteurs faisant les voix des personnages ainsi que les sons qu’ils doivent reproduire, ndlr] et on enregistrait. On devait répéter cette méthode pour chaque piste de voix, ça prenait un temps considérable. Avec le numérique, ça se passe désormais en temps réel et c’est beaucoup plus simple.

Est-ce que vous auriez un conseil à donner pour un jeune comédien qui souhaite faire du doublage ?

Je lui dirais de commencer à perfectionner son jeu de comédien, quitte à passer par le théâtre avant. Nous ne sommes pas comédiens de doublage, comme aucun animateur ne s’autoproclame comédien de radio ou un pubard comédien de pub. Quand j’ai commencé le doublage, c’était un job très mal perçu. Le métier a réellement explosé dans la seconde moitié des années 1980, avec l’export des animes japonais.

Les jeunes doivent comprendre que ça n’existe pas comédien de doublage. C’est un terme galvaudé, nous sommes des comédiens avant tout.

Le film Dragon Ball Super: Broly est projetée en VF au cinéma depuis le 13 mars.